APRES LE TSUNAMI - Région d'Aceh - Île de Sumatra - Indonésie
J’attends ce moment depuis des jours, avec excitation, appréhension et un peu de peur. L’avion décolle de Medan, la plus grande ville de Sumatra et troisième d’Indonésie, à quatre cents kilomètres de Banda Aceh. L’ambiance est tout à fait normale au bandara (aéroport) : bousculade, retard et tarmac par 35° en ce bon matin.
Après cinquante minutes de vol, le pilote annonce la descente. La vision derrière le hublot de l’appareil reflète des couleurs étranges, du marron vers le vert foncé, de la terre labourée vers la jungle dense. Mon coeur s’accélère. Nous descendons de l’avion sur la piste brûlante, sous un soleil de plomb. Une tour de contrôle mobile militaire et quelques camions bariolés du drapeau indonésien rouge et blanc, et des sigles des O.N.G. (Organisation Non Gouvernementale) me montrent un avant-goût de ce qui m’attend. Le chauffeur de taxi, qui me conduit dans sa voiture d’un autre âge, à une quinzaine de kilomètres du Kota (centre-ville), me raconte tout en souriant, qu’il a perdu sa famille. Il ne doit la vie sauve qu’à l’arbre accroché avec force. Il est heureux de transporter un bule (étranger à la peau blanche), de surcroît un Français.
Je n’aperçois que l’Indonésie que je connais, paysans travaillant dans les champs, warungs (petites échoppes) vendant boissons et cigarettes, mais peu de circulation. Nous, nous approchons d’un carrefour, sur la gauche direction Meulaboh, ville détruite à 80 % par le tsunami, et sur la droite, Kota de Banda Aceh. C’est un suspense d’un mauvais film de série B qui commence. Des carcasses de voitures, sur le bord de la route, s’alignent comme des oeuvres de César. Que font elles ici ? Toute la récupération de ferraille envisage une construction nouvelle. Un camp de réfugiés sur la droite, un autre, sur la gauche avec des tentes alignées au cordon, se présente comme nous le montre la télévision pour expliquer une catastrophe ou une guerre. Je cherche le post-office.
Mon guide du moment m’indique le nom de la jalan (rue). Il me dépose sur une place. Il m’explique que c’est le quartier des hôtels, la place Rek, marché de nuit d’avant le tsunami. Ce mot me hante. Je suis planté là. Un vent violent soulève la poussière, colle à la sueur. Photos ? Oui prendre des photos. Ma main tremble, je n’arrive pas à faire la mise au point. Je visionne derrière mon objectif un lit au milieu d’une chambre à ciel ouvert avec cette inscription ? TSUNAMI décembre 2004 ?... avec le N à l’envers. Un graffiti que les jeunes de tous les pays adorent inscrire par provocation ou par erreur. Des tags, rage d’écrire et rage de peindre, fleurissent partout. Une inscription rouge vif sur un mur blanc comme neige : Hilang (disparu), Angfa 11 th (abréviation de tahun – an-), Iwan 7 th dan (et) Raul 5 th). Ces parents ne pleureront pas sur leurs tombes. Un peu plus loin, sur une planche de bois, We need help me ! - Nous avons besoin d’aide -. Don’t broken – Ne pas casser –sur un warung détruit partiellement, rempli de boue que des jeunes dégagent à la pelle. - Dilarang meroko - Défense de fumer – inscrite d’avant le tsunami, sur cette porte d’un hôtel, dont le rez-de-chaussée et le premier étage se sont écroulés. Une dent creuse comme le nommerait un architecte. Le wisata (petit hôtel) coupé en deux fait découvrir que les cinq mètres d’eau à cet endroit l’a détruit proprement.
Des hélicoptères, mouches vombrissantes, fendent le ciel dans un bruit assourdissant. Ils transportent hommes, matériels et nourriture pour approvisionner les villages reculés, coupés des moyens de communication. Des ballots pendent accrochés à des filins. Le tsunami a détruit une bande côtière de plus de trois cents kilomètres au nord de Sumatra. Il fait très chaud, je cherche de l’ombre en attendant mon ami, auquel j’ai téléphoné d’un wartel (cabines téléphoniques) flambant neuf. Deux acihais m’accostent. ? Dari mana ? ? (D’où venez-vous ?), des centaines de fois entendues. ? Paris dans Jakarta ?. Ils se lèvent de leur banc pour me laisser la place. Je m’assieds devant cette pharmacie sans vitrine. Je le devine à sa pancarte pendante, apotek. Mon appareil photo rangé soigneusement dans mon sac, j’observe. Quelques motos aux conducteurs se protégeant d’un masque chirurgical et des gros 4/4 d’organisations humanitaires roulent au ralenti. Des militaires, sur un ter plein central, s’occupent en bêchant, plutôt à essayer car la terre est dure comme de la pierre. Il n’a pas plu depuis le tsunami.
Le jour de mon départ, il pleuvra des cordes, avec comme conséquence, cinquante centimètres d’eau dans les rues de la ville. Mes deux compagnons du moment ne parlent pas anglais, et moi sedikit (un petit peu) le bahasa (langue) Indonesia. Ils veulent me vendre un Rencong, couteau traditionnel. Poliment, je leur explique que j’aurai quelques ennuis dans l’avion. Ils n’insistent pas.
Mon ami arrive à moto. Derrière son casque est apposé un autocollant représentant un fusil barré d’un trait rouge. Humour ? Non. Réalité. J’observerai plus tard sur les camions et bateaux de la Fédération Internationale du Croissant et de la Croix-Rouge, ce même sticker. La province d’Aceh, fût interdite aux étrangers, la guérilla indépendantiste, le G.A.M. (Mouvement Aceh Libre) et les militaires indonésiens se livrent une guerre farouche depuis une trentaine d’années. Les estimations officieuses font état de 12 000 morts. Il a fallu cette catastrophe pour que soient entamées des négociations sous l’égide de la Suède, où leur chef est exilé depuis belle lurette. La communauté internationale n’en parle quasiment jamais. Des amis à Banda Aceh, proche de cette organisation, me diront plus tard qu’il n’y a qu’une solution : l’indépendance d’Aceh.
Nous, nous saluons par le geste musulman, la main sur le coeur. Tu veux voir tout de suite? Je ne réponds pas. Il démarre en trombe sur sa grosse cylindrée, ne parcourt que quelques centaines de mètres pour arriver à Ulhe-leh, ville de banlieue. Ma gorge se serre, mes yeux s’embuent de larmes, je ne répète que le mot – terrible – pendant de longues minutes. Hiroshima... ma première pensée. Les images des livres de la seconde guerre mondiale, que mon père aimait tant, tourbillonnent dans ma tête. Il n’y a rien, plus rien. Il ne subsiste sur l’horizon, que des pans de murs, des flaques d’eau couleur rouille, des maisons détruites, des bouts de bois, de ferraille et de plastique. Les routes en sont composées que de boue et de morceaux d’asphalte. Cette force naturelle, la mer, a balayé toute la vie. Quelques personnes clouent des planches sur des habitations brandiloquentes. Il s’arrête. ? Regarde le bateau sur le toit de la maison. ? me dit-il. J’avais remarqué des bateaux au milieu de ces décombres, retirés de la rivière par la marine australienne.
La poussière, les larmes ne me permettront pas de voir. L’après-midi, je travaillerai sur ce lieu. Le propriétaire me fera visiter sa maison-bateau. Après quelques barrages militaires, nous arrivons à Lhok Nga, Aceh Besar (le grand Aceh), situé à une vingtaine de kilomètres de Banda Aceh. Je prends des photographies d’un pétrolier battant pavillon Singapour, qui a échoué entre la plage, grève jonchée de débris, et une cimenterie française détruite gardée par des militaires. La force incroyable de ces vagues atteignant à cet endroit plus de vingt mètres de hauteur est inimaginable.
Je suis assis sur une pierre, réfléchit tout en composant ma photo. Une femme m’agrippe le bras. Je sursaute. Elle pose sa main à la ceinture et me fait le signe de la victoire. Elle parle. Elle a perdu ses deux enfants. Elle marche lentement, s’assied au milieu des ruines. Elle pleure. MERCY, organisation humanitaire malaise m’accueille chaleureusement dans le camp de réfugiés. Une file de gens patiente pour une consultation médicale. Des enfants décorent une tente de leurs dessins tout en chantant. Une autre sert pour les activités cuisine et couture. Ils s’organisent pour rester ici six mois minimum. Le responsable avec ces jeux de mots, Mercy beaucoup, est peu fier, m’explique que les femmes deviennent des spécialistes de pizzas. Une mushola (petite mosquée) se dresse au milieu du camp. Rien n’a été oublié.
Quelques kilomètres plus loin, sur un pont aux rambardes tordues, dans un anglais parfait, se rebelle contre le gouvernement central de Java. Un programme tend à limiter le nombre de journalistes et d’O.N.G. Il se barre le front du doigt : Gila ! (Ils sont fous !). Il termine par cette phrase : Monsieur, je vous en prie, ne nous oubliez jamais, nous avons besoin d’aide. Je ne veux pas rester à l’hôtel au milieu du tsunami. Nous arrivons où mon ami vit, plutôt où des jeunes survivent joyeusement. Des cabanes à poulets, abattus depuis à cause du ? flu chicken ? (la fièvre du poulet). Elles leur servent de mobil-home. Aidés par une O.N.G. de Jakarta, ils s’organisent, s’installent, aménagent cet endroit et pense y rester longtemps. J’inscris sur une planche : Hôtel Ayam Lima Bintang (Hôtel du Poulet 5 étoiles). Nous rions aux larmes. Peu ou pas d’argent, certains travaillent comme volontaires à la logistique des associations d’aide humanitaire.
D’autres attendent que leur entreprise inexistante depuis le tsunami, les rappellent pour du travail. Le plancher est surélevé de cinquante centimètres, auquel sont posées des bâches orange, servant de tapis de sol et de matelas. Au plafond est pendue des moustiquaires. Nous pourrions penser à un camp de jeunes en vacances. Les bâches orange, me diront-ils plus tard très sérieusement, servaient à l’emballage des corps après le tsunami, la fermeture éclair n’étant pas visible.
L’alimentation n’est constituée que de nasi (riz) et d’ikan (poisson), acheté aux pêcheurs qui reprennent leurs activités, au port de Lampulo. Le soir, un feu de camp, attisé par des noix de coco et les déchets de plastique, radio-cassette avec chansons d’Iwan Fals, chanteur engagé indonésien, l’alcool de palme illégal (l’alcool est prohibé dans la province d’Aceh, par application de la loi du Coran), donne à cette place rudimentaire un air de solidarité. Certains regards sont vides, pleins d’images dans la tête qu’ils n’oublieront jamais.
Selon le bilan du ministère de la santé indonésien, 165 000 personnes ont trouvé la mort ou sont portées disparues dans le nord de l’île de Sumatra. 320 000 autres sont déplacées. Le soir venu, je m’endors en pleurant.
Texte de Philippe FOUCHARD
J’attends ce moment depuis des jours, avec excitation, appréhension et un peu de peur. L’avion décolle de Medan, la plus grande ville de Sumatra et troisième d’Indonésie, à quatre cents kilomètres de Banda Aceh. L’ambiance est tout à fait normale au bandara (aéroport) : bousculade, retard et tarmac par 35° en ce bon matin.
Après cinquante minutes de vol, le pilote annonce la descente. La vision derrière le hublot de l’appareil reflète des couleurs étranges, du marron vers le vert foncé, de la terre labourée vers la jungle dense. Mon coeur s’accélère. Nous descendons de l’avion sur la piste brûlante, sous un soleil de plomb. Une tour de contrôle mobile militaire et quelques camions bariolés du drapeau indonésien rouge et blanc, et des sigles des O.N.G. (Organisation Non Gouvernementale) me montrent un avant-goût de ce qui m’attend. Le chauffeur de taxi, qui me conduit dans sa voiture d’un autre âge, à une quinzaine de kilomètres du Kota (centre-ville), me raconte tout en souriant, qu’il a perdu sa famille. Il ne doit la vie sauve qu’à l’arbre accroché avec force. Il est heureux de transporter un bule (étranger à la peau blanche), de surcroît un Français.
Je n’aperçois que l’Indonésie que je connais, paysans travaillant dans les champs, warungs (petites échoppes) vendant boissons et cigarettes, mais peu de circulation. Nous, nous approchons d’un carrefour, sur la gauche direction Meulaboh, ville détruite à 80 % par le tsunami, et sur la droite, Kota de Banda Aceh. C’est un suspense d’un mauvais film de série B qui commence. Des carcasses de voitures, sur le bord de la route, s’alignent comme des oeuvres de César. Que font elles ici ? Toute la récupération de ferraille envisage une construction nouvelle. Un camp de réfugiés sur la droite, un autre, sur la gauche avec des tentes alignées au cordon, se présente comme nous le montre la télévision pour expliquer une catastrophe ou une guerre. Je cherche le post-office.
Mon guide du moment m’indique le nom de la jalan (rue). Il me dépose sur une place. Il m’explique que c’est le quartier des hôtels, la place Rek, marché de nuit d’avant le tsunami. Ce mot me hante. Je suis planté là. Un vent violent soulève la poussière, colle à la sueur. Photos ? Oui prendre des photos. Ma main tremble, je n’arrive pas à faire la mise au point. Je visionne derrière mon objectif un lit au milieu d’une chambre à ciel ouvert avec cette inscription ? TSUNAMI décembre 2004 ?... avec le N à l’envers. Un graffiti que les jeunes de tous les pays adorent inscrire par provocation ou par erreur. Des tags, rage d’écrire et rage de peindre, fleurissent partout. Une inscription rouge vif sur un mur blanc comme neige : Hilang (disparu), Angfa 11 th (abréviation de tahun – an-), Iwan 7 th dan (et) Raul 5 th). Ces parents ne pleureront pas sur leurs tombes. Un peu plus loin, sur une planche de bois, We need help me ! - Nous avons besoin d’aide -. Don’t broken – Ne pas casser –sur un warung détruit partiellement, rempli de boue que des jeunes dégagent à la pelle. - Dilarang meroko - Défense de fumer – inscrite d’avant le tsunami, sur cette porte d’un hôtel, dont le rez-de-chaussée et le premier étage se sont écroulés. Une dent creuse comme le nommerait un architecte. Le wisata (petit hôtel) coupé en deux fait découvrir que les cinq mètres d’eau à cet endroit l’a détruit proprement.
Des hélicoptères, mouches vombrissantes, fendent le ciel dans un bruit assourdissant. Ils transportent hommes, matériels et nourriture pour approvisionner les villages reculés, coupés des moyens de communication. Des ballots pendent accrochés à des filins. Le tsunami a détruit une bande côtière de plus de trois cents kilomètres au nord de Sumatra. Il fait très chaud, je cherche de l’ombre en attendant mon ami, auquel j’ai téléphoné d’un wartel (cabines téléphoniques) flambant neuf. Deux acihais m’accostent. ? Dari mana ? ? (D’où venez-vous ?), des centaines de fois entendues. ? Paris dans Jakarta ?. Ils se lèvent de leur banc pour me laisser la place. Je m’assieds devant cette pharmacie sans vitrine. Je le devine à sa pancarte pendante, apotek. Mon appareil photo rangé soigneusement dans mon sac, j’observe. Quelques motos aux conducteurs se protégeant d’un masque chirurgical et des gros 4/4 d’organisations humanitaires roulent au ralenti. Des militaires, sur un ter plein central, s’occupent en bêchant, plutôt à essayer car la terre est dure comme de la pierre. Il n’a pas plu depuis le tsunami.
Le jour de mon départ, il pleuvra des cordes, avec comme conséquence, cinquante centimètres d’eau dans les rues de la ville. Mes deux compagnons du moment ne parlent pas anglais, et moi sedikit (un petit peu) le bahasa (langue) Indonesia. Ils veulent me vendre un Rencong, couteau traditionnel. Poliment, je leur explique que j’aurai quelques ennuis dans l’avion. Ils n’insistent pas.
Mon ami arrive à moto. Derrière son casque est apposé un autocollant représentant un fusil barré d’un trait rouge. Humour ? Non. Réalité. J’observerai plus tard sur les camions et bateaux de la Fédération Internationale du Croissant et de la Croix-Rouge, ce même sticker. La province d’Aceh, fût interdite aux étrangers, la guérilla indépendantiste, le G.A.M. (Mouvement Aceh Libre) et les militaires indonésiens se livrent une guerre farouche depuis une trentaine d’années. Les estimations officieuses font état de 12 000 morts. Il a fallu cette catastrophe pour que soient entamées des négociations sous l’égide de la Suède, où leur chef est exilé depuis belle lurette. La communauté internationale n’en parle quasiment jamais. Des amis à Banda Aceh, proche de cette organisation, me diront plus tard qu’il n’y a qu’une solution : l’indépendance d’Aceh.
Nous, nous saluons par le geste musulman, la main sur le coeur. Tu veux voir tout de suite? Je ne réponds pas. Il démarre en trombe sur sa grosse cylindrée, ne parcourt que quelques centaines de mètres pour arriver à Ulhe-leh, ville de banlieue. Ma gorge se serre, mes yeux s’embuent de larmes, je ne répète que le mot – terrible – pendant de longues minutes. Hiroshima... ma première pensée. Les images des livres de la seconde guerre mondiale, que mon père aimait tant, tourbillonnent dans ma tête. Il n’y a rien, plus rien. Il ne subsiste sur l’horizon, que des pans de murs, des flaques d’eau couleur rouille, des maisons détruites, des bouts de bois, de ferraille et de plastique. Les routes en sont composées que de boue et de morceaux d’asphalte. Cette force naturelle, la mer, a balayé toute la vie. Quelques personnes clouent des planches sur des habitations brandiloquentes. Il s’arrête. ? Regarde le bateau sur le toit de la maison. ? me dit-il. J’avais remarqué des bateaux au milieu de ces décombres, retirés de la rivière par la marine australienne.
La poussière, les larmes ne me permettront pas de voir. L’après-midi, je travaillerai sur ce lieu. Le propriétaire me fera visiter sa maison-bateau. Après quelques barrages militaires, nous arrivons à Lhok Nga, Aceh Besar (le grand Aceh), situé à une vingtaine de kilomètres de Banda Aceh. Je prends des photographies d’un pétrolier battant pavillon Singapour, qui a échoué entre la plage, grève jonchée de débris, et une cimenterie française détruite gardée par des militaires. La force incroyable de ces vagues atteignant à cet endroit plus de vingt mètres de hauteur est inimaginable.
Je suis assis sur une pierre, réfléchit tout en composant ma photo. Une femme m’agrippe le bras. Je sursaute. Elle pose sa main à la ceinture et me fait le signe de la victoire. Elle parle. Elle a perdu ses deux enfants. Elle marche lentement, s’assied au milieu des ruines. Elle pleure. MERCY, organisation humanitaire malaise m’accueille chaleureusement dans le camp de réfugiés. Une file de gens patiente pour une consultation médicale. Des enfants décorent une tente de leurs dessins tout en chantant. Une autre sert pour les activités cuisine et couture. Ils s’organisent pour rester ici six mois minimum. Le responsable avec ces jeux de mots, Mercy beaucoup, est peu fier, m’explique que les femmes deviennent des spécialistes de pizzas. Une mushola (petite mosquée) se dresse au milieu du camp. Rien n’a été oublié.
Quelques kilomètres plus loin, sur un pont aux rambardes tordues, dans un anglais parfait, se rebelle contre le gouvernement central de Java. Un programme tend à limiter le nombre de journalistes et d’O.N.G. Il se barre le front du doigt : Gila ! (Ils sont fous !). Il termine par cette phrase : Monsieur, je vous en prie, ne nous oubliez jamais, nous avons besoin d’aide. Je ne veux pas rester à l’hôtel au milieu du tsunami. Nous arrivons où mon ami vit, plutôt où des jeunes survivent joyeusement. Des cabanes à poulets, abattus depuis à cause du ? flu chicken ? (la fièvre du poulet). Elles leur servent de mobil-home. Aidés par une O.N.G. de Jakarta, ils s’organisent, s’installent, aménagent cet endroit et pense y rester longtemps. J’inscris sur une planche : Hôtel Ayam Lima Bintang (Hôtel du Poulet 5 étoiles). Nous rions aux larmes. Peu ou pas d’argent, certains travaillent comme volontaires à la logistique des associations d’aide humanitaire.
D’autres attendent que leur entreprise inexistante depuis le tsunami, les rappellent pour du travail. Le plancher est surélevé de cinquante centimètres, auquel sont posées des bâches orange, servant de tapis de sol et de matelas. Au plafond est pendue des moustiquaires. Nous pourrions penser à un camp de jeunes en vacances. Les bâches orange, me diront-ils plus tard très sérieusement, servaient à l’emballage des corps après le tsunami, la fermeture éclair n’étant pas visible.
L’alimentation n’est constituée que de nasi (riz) et d’ikan (poisson), acheté aux pêcheurs qui reprennent leurs activités, au port de Lampulo. Le soir, un feu de camp, attisé par des noix de coco et les déchets de plastique, radio-cassette avec chansons d’Iwan Fals, chanteur engagé indonésien, l’alcool de palme illégal (l’alcool est prohibé dans la province d’Aceh, par application de la loi du Coran), donne à cette place rudimentaire un air de solidarité. Certains regards sont vides, pleins d’images dans la tête qu’ils n’oublieront jamais.
Selon le bilan du ministère de la santé indonésien, 165 000 personnes ont trouvé la mort ou sont portées disparues dans le nord de l’île de Sumatra. 320 000 autres sont déplacées. Le soir venu, je m’endors en pleurant.
Texte de Philippe FOUCHARD